Le groupe

Fabien Duclerc
Album éponyme
(MyMajorCompany)

Il est de ces musiques qui coulent d’elles mêmes, à la fois limpides et sombres, graciles et profondes, énigmatiques et pourtant immédiatement familières. Des musiques oxymores dont la beauté mélancolique ravit le coeur. Celles de Fabien Duclerc en font partie. Dès la première écoute, l’auditeur est irrémédiablement séduit par cette voix à l’émotion à fleur de gorge, ces volutes acoustiques zébrées d’étincelles électriques et nappées de cordes voluptueuses. Le spleen, non comme un style mais comme une évidence.
S’il fallait classer Fabien Duclerc dans une famille musicale, ce serait sans doute celle du folk. Le folk de ces peintres de l’âme que sont Nick Drake ou Cat Stevens, Neil Young ou Damien Rice. Des artistes dont Fabien, depuis son Bayonne natal, s’est avidement nourri avec la passion d’un adolescent qui découvre dans la musique un exutoire aux tourments quotidiens. Dans son panthéon personnel, on trouve aussi Gainsbourg et Brassens, orfèvres de la rime riche, ou des bluesmen séminaux comme Howlin’ Wolf, Charlie Patton ou Lightnin’ Hopkins. Autant d’influences que Fabien a su maîtriser et transcender pour se façonner peu à peu un langage bien à lui. Ses premières chansons, il les a écrites à l’âge où l’on se consacre d’ordinaire à de plus triviales activités. Guitariste autodidacte guidé par un frère aîné attentionné, il oeuvre un temps au sein d’un groupe local répondant au sémillant nom de Funkalistic, avant d’oser enfin proposer ses propres compositions. En compagnie de Romain Luzet, instrumentiste accompli et complice fidèle, il enregistre alors, au milieu des années 2000, un premier jet autoproduit, une démo baptisée « Préambule », qui s’arrachera à la sortie des concerts mais restera dans les tiroirs du showbiz. Une tentative qui lui a sans doute inspiré le titre « Va mûrir », diatribe caustique contre une industrie musicale rétive aux talents précoces. Demandez aux centaines d’internautes qui, par le biais du label participatif My Major Company, ont permis au troubadour Duclerc de jouer aujourd’hui dans la cour des grands…
De ces prémisses, dont il reprend encore sur scène une chanson baptisée « Les Marionnettes », Fabien a voulu conserver, jalousement intacts, cet instinct musical et cette fraîcheur harmonique qui font désormais sa griffe singulière. Comme dans « Cosmonaute », description poético-ironique d’un enfant rebelle qui refuse de se plier aux codes, musicaux ou autres, imposés par la société, pour laisser libre cours à son imagination. Une chanson autobiographique ?
Le« vrai premier album » de Fabien Duclerc, au titre éponyme, enregistré et mixé par l’auteur et co-réalisé avec Romain Luzet dans une ferme du Lot et Garonne, regorge de ces mélodies à la pureté confondante, ballades à la complexe simplicité et à l’émotion à fleur de mots. Comme « Buddy », qui ouvre l’album, ode réconfortante dédiée à tous ceux qui broient du noir dans les moments de solitude. Ou « Le Temps d’octobre », l’un des titres les plus émouvants, lucide constat du temps qui s’égrène inexorablement. Ou encore « Les Brouillards du tard », tendre évocation de cette période transitoire entre sommeil et éveil, où le subconscient peine à dissiper les brumes de l’abandon. Des chansons qui lui ressemblent, qu’il assemble au gré de ses pérégrinations. Comme il dit : « Je pioche dans l’air, je cueille ce qui passe, une mélodie vient, puis quelques mots, souvent en yaourt, mais avec déjà un thème qui s’ébauche. » Si Fabien a choisi d’écrire en français, il ne rechigne pas à s’exprimer aussi dans la langue de ses inspirateurs folk. Comme dans « Morphed faces », superbe ballade dont Fabien explique ainsi la genèse : « c’est un être perdu aux confins de l'urbain, étranger d'une nature qui pourtant le considère comme un fils. Cette phrase d'un indien lacota résume à merveille cette chanson : "Dur est le coeur de l'homme éloigné de la nature."
L’album se clôt par « Mina », bouleversante supplique à une jeune fille qui flirte avec la mort : les anges ne sont-ils pas immortels ? Un thème mélodique que l’on retrouve, mêlé à celui de « Buddy », dans l’instrumental qui sert d’épilogue au disque. La boucle est bouclée. Pour Fabien Duclerc, baladin contemporain aux beautés intemporelles, elle commence à peine.